vernissage
lundi 13 avril à 18h — palais des arts
Dans le cadre du cours Phallophories, les étudiants de l’année 2, option art, ont été invités à réfléchir à leurs méthodes de création et champs opératoires, autour de la notion de tables de travail.
« Qu’est-ce donc qu’un champ opératoire envisagé dans ce contexte ? C’est un lieu déterminé — cadré comme templum dans toute étendue possible, le ciel, la mer, une pierre plate, un foie de mouton… — capable de faire se rencontrer des ordres de réalité hétérogènes, puis de construire cette rencontre même en lieu de surdétermination.
C’est une « table » où l’on décide de mettre ensemble certaines choses disparates dont on cherche à établir les multiples « rapports intimes et secrets », une aire possédant ses propres règles de disposition et de transformation pour relier certaines choses dont les liens ne sont pas évidents. Et pour faire de ces liens, une fois mis au jour, les paradigmes d’une relecture du monde. […]
Si l’on en revient à la notion plus heuristique, la notion non axiomatique de table, on s’aperçoit que la « surface préparée » démontre fort bien son efficacité de champ opératoire en dehors de toute règle préalablement établie. […]
Disparates y peuvent être les supports, les règles de disposition, les objets disposés. Il y a, surtout, une connivence inattendue entre classification et désordre ou, si l’on veut, entre raison et imagination. […]
Le désordre n’est déraison que pour celui qui refuse de penser, de respecter, d’accompagner en quelque sorte, le morcellement du monde. La table serait donc un lieu privilégié pour recueillir et présenter ce morcellement. Pour en affirmer la valeur fondatrice et opératoire, c’est-à-dire la possibilité, toujours ouverte, de se modifier, de produire une nouvelle configuration. Chaque table consacrerait ainsi, à sa façon, le partage des choses, leur vocation à être dissociées, puis redistribuées. D’où la dimension immédiatement sociale, cultuelle et politique de la table mensa, en latin, a d’abord désigné un genre de gâteau que l’on partageait en quartiers pour les disposer comme offrandes pour les dieux et comme nourriture consommable sur un champ opératoire qui en prit bientôt le nom. »
Georges Didi-Huberman, L’oeil de l’histoire : Tome 3, Atlas ou le gai savoir inquiet, Les Éditions de Minuit, 2011